Ménélas rébetiko rapsodie – Le Grand Parquet
Une table, trois chaises, quelques lumières, deux musiciens s’installent… Un chapeau incliné, à la main un éventail : Simon Abkarian a le sens du détail. Il s’avance, glisse sur la scène tandis que les accords mêlés du bouzouki et de la guitare nous font entendre le rébétiko, ce blues d’Asie mineure qui a fleuri dans les années 1920.
Le décor planté, bouteilles d’ouzo ouvertes et cigarettes allumées, l’homme vient nous raconter sa tragédie : Hélène est partie avec Pâris, il est Ménélas abandonné. L’auteur Simon Abkarian intègre les chants grecs traditionnels des rebetes, ces chantres d’une musique populaire de résistance (la dictature de Metaxas dans les années 1930 interdit le rébétiko), figures de l’Orient et incarnant un code de l’honneur mêlant bonté, malice, consommation d’haschich et d’alcool, des musiciens en marge de la bonne société en train de s’occidentaliser. L’acteur joue Ménélas pour faire entendre ces mélopées comme autant d’incantations aux dieux et à l’auditoire, vite captivé par un jeu virtuose, à la fois sobre et vibrant.
Et l’on voit ce que l’on entend rarement : les lamentations de l’homme trompé, pourtant viril dans sa fragilité. Ici, le roi cocufié moqué par Offenbach est magnifié par l’interprétation et les mots de Simon Abkarian, qui alterne le tragique et le trivial. Il pourrait être ridicule, il s’en sort avec grâce. C’est qu’il a souvent fréquenté les mythes grecs, au théâtre du Soleil d’abord, où il a joué dans Les Atrides au début des années 1990, mais aussi par la mise en scène de L’Ultime Chant de Troie en 2000 (dont il fait l’adaptation d’après Euripide, Eschyle, Sénèque et Parouïr Sevak au MC93 de Bobigny), enfin par l’écriture avec Pénélope ô Pénélope, Grand prix de la meilleure création française en 2008.
Pourquoi cette fascination pour la mythologie grecque ? Une fois le spectacle fini, il passe au milieu des tables, disponible à nos interrogations. Il lui semble que si on s’en éloigne, on se perd. Vue la situation de la Grèce aujourd’hui, la pièce s’éclaire sous un jour plus politique… Les Hellènes sont-ils perdus à jamais ? L’incroyable bouzoukiste Grigoris Vasilas et l’impeccable guitariste Kostas Tsekouras nous font sentir que l’âme rébète est bien vivante, et le fait de jouer cette pièce au Grand Parquet, lieu alternatif à Stalingrad, nous rend cette tragédie d’autant plus accessible et poignante.
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February 4, 2013
4:07 pm
Bien vu, Julie djan. Une précision toutefois, point de Rebetiko à Athènes, les vrais de vrais enfumaient et ouzofiaient les tavernes de Thessalonique après avoir été “échangés”, laissant le Pont derrière eux !